La notion juridique du domicile modifiée par la loi ASAP du 7 décembre 2020 dans le cas d’un logement squatté.
La loi du n°2020-1525 dite loi ASAP (Accélération et de simplification de l’action publique) est entrée en vigueur le 1er janvier 2021. Elle contient de nouvelles dispositions favorables aux propriétaires victimes de squatteurs. D’où son nom de loi anti-squat. Ces dispositions renvoient à l’article 38 de la loi n°2007-290 du 5 mars dite loi Dalo (droit au logement opposable).
C’est sur cet article que s’appuient les propriétaires lésés, privés de leur bien par des squatteurs, pour tenter une procédure administrative d’expulsion. Modifié par l’article 73 de la loi ASAP, il fait notamment évoluer la notion de domicile dans les affaires de squat. Mais pas seulement et ses apports sont conséquents (article 38 révisé).
Les apports de la loi ASAP
Élargissement de la notion de domicile
La notion de « domicile d’autrui » ne se limite plus à la résidence principale comme précédemment. Elle doit désormais être entendue au sens du « lieu où une personne, qu’elle y habite ou non, a le droit de se dire chez elle, quels que soient le titre juridique de son occupation et l’affectation donnée aux locaux ». Ce sens est celui retenu dans la circulaire d’application du texte, en référence à l’article 226-4 du code pénal (qui, selon la jurisprudence, vise de manière plus générale la demeure d’autrui et peu importe qu’elle soit permanente ou temporaire). La Cour de cassation considère en effet qu’il n’y a pas lieu d’opérer une distinction entre l’habitation effectivement occupée au moment des faits et celle qui est momentanément vide de tout habitant.
Il n’y a plus lieu d’effectuer une distinction entre l’habitation effectivement occupée au moment des faits et celle qui est momentanément vide de tout habitant.
L’occupation effective du logement/local au moment où les squatteurs s’y introduisent n’est plus un critère nécessaire pour engager la procédure d’évacuation forcée. Autrement dit, l’introduction de squatteurs dans une résidence secondaire peut également donner lieu à une évacuation administrative.
Une bonne nouvelle pour les propriétaires de résidence secondaire. La circulaire d’application précise toutefois que « quand bien même le propriétaire ou le locataire du logement sont momentanément absents au moment des faits, il importe néanmoins que le local occupé comporte les éléments minimaux, notamment mobiliers, nécessaires à l’habitation. »
Si elle s’applique pour les logements occasionnels de type pied-à-terre professionnel, cette disposition ne vaut pas pour les logements vacants qui ne sont jamais habités par leurs propriétaires, ni pour les locaux commerciaux ou les terrains.
L’obligation de réponse motivée du préfet
Le texte initial de l’article 38 ne précisait pas de délai ni même d’obligation de réponse pour l’administration saisie d’une requête d’évacuation accélérée d’un logement. Le nouveau texte fait obligation au préfet (on parle de compétence liée) non seulement de répondre à une demande d’évacuation administrative mais également de répondre sous 48 heures.
Le préfet a obligation de répondre, et sous 48h, à votre requête.
Obligation de réponse et réduction des délais, là encore le nouvel article 38 constitue deux avancées significatives pour les propriétaires mais pas une garantie de succès toutefois. En effet le texte prévoit des situations exonérant le préfet d’une réponse favorable. « En cas de refus, les motifs de la décision sont, le cas échéant, communiqués sans délai au demandeur » précise l’article 38 dans sa version rénovée.
Les tiers peuvent agir au nom du propriétaire
Dans sa rédaction d’origine, l’article 38 de la loi Dalo précise que la demande d’évacuation administrative doit être conduite par le propriétaire ou le locataire du logement illicitement occupé : « En cas d’introduction et de maintien dans le domicile d’autrui à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou de contrainte, le propriétaire ou le locataire du logement occupé peuvent demander au préfet de mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux (…) » Seuls le propriétaire du bien squatté ou son locataire étaient habilités à lancer une procédure d’évacuation forcée. Soit des conditions de saisine très restrictives. C’est terminé.
Vous n’êtes pas le propriétaire, vous pouvez agir pour son compte.
L’article 73 de la loi ASAP élargit ces conditions. Dans sa nouvelle formulation : « La personne dont le domicile est ainsi occupé ou toute personne agissant dans l’intérêt et pour le compte de celle-ci peut demander au préfet de mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux (…) ». La procédure n’étant plus réservée au propriétaire ou au locataire ; l’usufruitier ou les enfants d’une personne âgée placée hors de son domicile, empêchée pour raison médicale ou déplacement de longue durée par exemple, pourront engager la procédure administrative d’évacuation forcée.
Modification de l’article 38 de la loi Dalo
Avec l’article 73 de la loi ASAP, l’article 38 de la loi Dalo est modifié en ce sens : « En cas d’introduction et de maintien dans le domicile d’autrui, qu’il s’agisse ou non de sa résidence principale, à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou de contrainte, la personne dont le domicile est ainsi occupé ou toute personne agissant dans l’intérêt et pour le compte de celle-ci peut demander au préfet de mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux, après avoir déposé plainte, fait la preuve que le logement constitue son domicile et fait constater l’occupation illicite par un officier de police judiciaire ».
Élargissement de la notion de domicile, obligation de réponse motivée du préfet, ouverture aux tiers de l’intérêt à agir sont les trois apports principaux de la réécriture de l’article 38.
Les détails de la procédure administrative
La requête
La requête consiste à demander au préfet de mettre en demeure l’occupant frauduleux de quitter les lieux dans un délai défini. Sous réserve de la réunion de certaines conditions, elle autorise le préfet à procéder à l’évacuation forcée des personnes s’étant introduites et maintenues dans votre domicile – ou dans le domicile de la personne pour laquelle vous êtes habilité à agir – sans recours préalable au juge.
Les 3 éléments matériels de la requête
- Un dépôt de plainte pour violation de domicile ;
- La preuve apportée que le logement frauduleusement occupé constitue le domicile du demandeur (factures, attestations, documents fiscaux) ;
- Le constat, par un officier de police judiciaire (OPJ), de l’occupation délictuelle du logement.
La première démarche à effectuer, dès que vous avez constaté l’occupation illicite de votre bien, est de porter plainte au commissariat de police ou à la gendarmerie pour « violation de domicile », infraction prévue par l’article 226-4 du Code pénal. Munissez-vous de tous les documents (factures, documents fiscaux récupérés sur internet, attestation fournie par un voisin par exemple) permettant d’attester que vous êtes effectivement le propriétaire du domicile squatté.
Lorsque la demande est présentée par un tiers, celui-ci doit établir le titre l’habilitant à agir dans l’intérêt et pour le compte de la personne dont le domicile est occupé.
Le flagrant délit même après 48h
À la suite de votre dépôt de plainte, la police se rendra sur place et constatera le flagrant délit de violation de domicile : pénétration par voie de fait (carreau cassé, porte fracturée, serrure changée…) et maintien dans le logement. Ces faits doivent avoir été constatés et doivent figurer dans le procès-verbal de recueil de la plainte sans quoi le délit ne peut pas être caractérisé comme relevant du champ d’application de l’article 38 de la loi Dalo.
L’infraction de maintien dans le domicile d’autrui est une situation continue que les forces de l’ordre pourront constater à tout moment.
Le flagrant délit de violation de domicile peut être établi aussi longtemps que les occupants se maintiennent dans les lieux et non pas seulement dans un délai de 48 heures. En effet, le « maintien » dans le logement d’autrui n’est pas un acte instantané qui peut représenter le point de départ fixe d’un délai. La circulaire du 21 janvier 2021 précise que l’infraction de maintien dans le domicile d’autrui est une situation continue que les forces de l’ordre pourront constater à tout moment. Reste que les OPJ peuvent être réticents à intervenir au-delà d’un certain délai d’occupation (le délai de 48h est souvent évoqué).
L’identité des occupants indésirables doit être recueillie lors du constat d’occupation illégale.
Commencez par interroger vos voisins, le gardien de l’immeuble … toute personne susceptible de connaître l’identité de vos squatteurs, cherchez des noms sur votre boite-aux-lettres… Si ces solutions simples à mettre en œuvre ne donnent pas de résultat, vous ferez appel à un huissier de justice (à présent appelé commissaire de justice) qui se rendra sur les lieux squattés pour interroger les squatteurs et relever leur identité. On parle de sommation interpellative soit l’acte par lequel un huissier de justice interpelle directement un destinataire désigné (ici les squatteurs) en lui posant diverses questions, et recueille ses réponses et observations.
Faire appel à un huissier de justice pour identifier ses squatteurs
Les réponses fournies par votre adversaire, lui seront ensuite opposables, notamment en justice.
Les « locataires-squatteurs » hors du champ de l’article 38
Ne sont pas considérés comme squatteurs :
- un locataire qui se maintient dans le logement après la fin du bail sans l’accord de son propriétaire ;
- une personne qui refuse de quitter les lieux après y avoir été hébergée par la personne qui y vit.
Votre locataire refuse de quitter les lieux en fin de bail ?
Vous ne pourrez engager de procédure d’évacuation administrative dans aucune de ces deux situations. En effet la double condition présidant au dépôt de la plainte n’est pas réunie. Si le maintien de votre locataire sans bail relève effectivement d’une occupation sans bien ni titre, ne peut pas être retenu le délit d’introduction dans votre bien par voie de fait ou de contrainte.
Pour obtenir l’expulsion du locataire indélicat, vous devrez vous adjoindre les services d’un huissier de justice (ou commissaire de justice). Commencez par envoyer une mise en demeure de quitter les lieux via votre huissier. Si ce courrier reste sans effet, vous devrez vous adresser au tribunal judiciaire (anc. tribunal d’instance) de la commune où est situé le logement loué.
Un locataire qui refuse de quitter un bien à la fin du bail n’est pas considéré comme un squatteur
Vous devrez ensuite mandater votre commissaire de justice pour qu’il remette à votre locataire son assignation à comparaître à la date fixée par le juge d’instance. Vous devrez assister à l’audience si vous n’êtes pas représenté par un avocat.
Le locataire a un mois pour faire appel de la décision du juge.
Au terme de la période d’appel ou à la fin du délai supplémentaire accordé par le juge, la décision devient définitive. Votre locataire recevra alors un commandement de quitter les lieux et disposera de deux mois. Dans la réalité ce délai peut être allongé car il n’est pas rare que le juge accorde un second délai à votre locataire pour qu’il puisse régler sa situation.
Si au terme de ce délai, votre locataire refuse toujours de quitter les lieux, alors l’huissier de justice demandera l’intervention de la force publique. Si la préfecture accepte la demande, la force publique procédera à l’expulsion définitive du locataire.
La trêve hivernale s’applique dans le cas d’un « locataire-squatteur ».
L’appel ne suspendra pas la décision rendue si vous avez obtenu l’exécution provisoire du jugement ou s’il s’agit d’une ordonnance (dans le cas d’une procédure en référé).
Instruction de la demande
Des délais raccourcis
L’instruction des demandes ne doit pas dépasser le délai impératif de 48 heures (article 38, al. 2 du Code civil).
Lorsqu’il apparaît, à l’issue de l’instruction, qu’une suite favorable peut vous être accordée, et donc au plus tard au terme du délai de 48 heures :
- une mise en demeure de quitter les lieux sera adressée aux occupants ;
- l’évacuation devra avoir lieu dès la fin du délai de mise en demeure (24 heures) ;
Si tout se passe bien les squatteurs seront expulsés trois jours après le dépôt de votre requête. La mise en demeure est également publiée sous forme d’affichage en mairie et sur les lieux. Si la mise en demeure n’est pas suivie d’effet, il pourra être procédé à l’exécution forcée de la décision d’expulsion.
Il peut arriver que le préfet rejette votre requête. Il devra notifier sa décision et motiver son refus.
Rejet de la demande : seulement deux motifs invocables
La loi retient deux motifs autorisant le préfet à rejeter votre demande :
- les conditions cumulatives renvoyant à l’article 226-4 du code pénal ne sont pas réunies (par exemple : effraction non constatée) ;
- l’existence d’un motif impérieux d’intérêt général.
La présence dans le bien squatté d’enfants mineurs, de femmes enceintes ou de personnes âgées sans solution de relogement constitue un motif d’intérêt général que les préfets prennent communément en compte pour rejeter une requête.
Bon à savoir : la trêve hivernale (1er novembre au 31 mars de l’année suivante) ne s’applique pas aux évacuations forcées prononcées sur le fondement de l’article 38 de la loi Dalo.
Si votre demande en évacuation par voie administrative n’aboutit pas, que ce soit par manque de preuve ou par décision du préfet au titre de « motif impérieux d’intérêt général », vous devrez recourir à la voie judiciaire traditionnelle pour récupérer votre bien. Cette seconde procédure d’expulsion passe par la voie des tribunaux. Vous devrez prendre un avocat qui saisira le juge. Ce recours présente l’inconvénient d’être long et coûteux.
Procédure accélérée d’expulsion de squatteurs
Les huissiers peuvent vous aider
Depuis le 1er février 2022, vous pouvez vous faire accompagner par un huissier de justice (commissaire de justice) à toutes les étapes de la procédure administrative d’expulsion de squatteurs.
Cette assistance prévoit notamment :
- le constat de l’occupation illégale ;
- l’accompagnement dans le dépôt de la plainte ;
- la rédaction de la demande au préfet et le suivi des démarches auprès de la préfecture.
Si celle-ci n’aboutit pas, elle peut se poursuivre par un accompagnement dans une procédure judiciaire.
Les honoraires d’intervention de l’huissier mandaté resteront à la charge du demandeur. Ils dépendront de la situation à traiter. Demandez un devis détaillé avant de vous engager auprès d‘un professionnel.